XV: Peniasi Dakuwaqa, la fusée fidjienne du Stade Français
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Peniasi Dakuwaqa, la fusée fidjienne du Stade Français qui n’avait pas le droit de jouer le samedi
Titulaire à une aile du Stade Français qui va jouer à Lyon dimanche soir, arrivé à Paris à 25 ans dans l’anonymat le plus total, l’ailier fidjien Peniasi Dakuwaqa a percé sur le tard. En cause, notamment, une règle stricte de son grand-père qui lui interdisait de jouer au rugby le samedi.
Un tee-shirt roulé en boule et noué par les manches, une bouteille d’eau ou une noix de coco. C’est avec ces ballons de fortune, dans un jardin du village de Nagado, à Nadi, au nord-ouest de l’île principale de Viti Levu aux Fidji, que Peniasi Dakuwaqa (1, 86 m – 95 kg) a découvert le rugby.
« On n’avait pas les moyens d’acheter des vrais ballons, c’était trop cher, se souvient celui qui a été éduqué par son grand-père avec une vingtaine de cousins au sein d’une famille sans-le-sou. Quand on jouait avec des voisins, il n’y avait pas de règle : ça plaquait à la tête ! Dès que tu avais le ballon, cinq gamins te fonçaient dessus pour te découper. C’est pour ça qu’il fallait courir vite. »
Ça n’a jamais été un problème pour l’ailier fidjien de 27 ans. C’est même ce qui a convaincu les dirigeants du Stade Français, son directeur général Thomas Lombard et le patron du recrutement parisien Christophe Moni, de l’engager en qualité de joker médical, à l’automne 2022, sur les conseils de Sireli Bobo.
« J’ai dit à Thomas que Peniasi deviendrait leur joueur vedette s’il me faisait confiance, rembobine l’ancien international fidjien. Et je lui ai envoyé une vidéo. »
Une compilation de cinq minutes des plus belles actions de « Peni », parfois filmées au téléphone par sa femme Cheryl, sur un terrain de rugby ou une piste d’athlétisme. En crampons ou en pointes, les chaussettes baissées sous les chevilles, Dakuwaqa y crève l’écran. Son pouvoir d’accélération phénoménal lui vaudra d’être surnommé « The Flash » par le commentateur sportif local Papa Graham.
« Courir vite, c’est dans mes gènes, dit d’un haussement d’épaules timide ce grand gaillard du genre taiseux. Mon père aussi était très rapide. »
En 2020, Peniasi « Ben » Dakuwaqa avait remporté la médaille d’or sur le 100 mètres des Jeux des îles Cook en 10”42. Il avait alors 23 ans et pas la moindre expérience rugbystique professionnelle. Entre les Fidji et les îles Cook, où il avait déménagé pour rejoindre son épouse, il avait pourtant touché à tout au niveau amateur : rugby à 7, 9, XIII et quinze, notamment aux Tupapa Maraerenga Panthers.
« J’ai en mémoire un match chez le champion en titre, indique Delaney Yaqona, le manager général des Panthers. C’était la première journée de la saison, on était rouillés et il nous manquait beaucoup de joueurs. En plus, il pleuvait. Ça n’a pas empêché ”Ben” de marquer quatre essais. À chaque fois qu’il touchait le ballon, il inventait quelque chose. Il évoluait dans une autre galaxie. » Pas assez pour que le Fidjien, qui cumulait alors des petits boulots dans la construction, puisse vivre du rugby plus tôt.
« J’ai demandé à sa tante pourquoi il n’avait pas été repéré plus vite malgré son talent, raconte sa compagne Cheryl. Elle m’a expliqué qu’il avait grandi avec un grand-père strict, membre de l’Église adventiste du septième jour. »
Très pratiquant, cet ancien boxeur, qui réveillait toute la maison aux aurores en grattant quelques airs de guitare, respectait scrupuleusement les règles de sa religion. « Tu ne bois pas, tu ne fumes pas », récite son petit-fils, dont les journées étaient rythmées par l’école, la plantation familiale où il cultivait marantes, taros et patates douces, la vente sur les marchés, la pêche et la prière avant de se coucher.
« Et le samedi, qui est le septième jour, ajoute-t-il, tu ne travailles pas et tu ne fais pas de sport. »
Voilà pourquoi Dakuwaqa a séché de nombreux matches de rugby pendant des années.
« Quand mon grand-père est tombé malade, j’ai arrêté l’école pour m’occuper de lui et de la plantation, reprend-il. À l’époque, les tournois étaient sur deux jours. Le vendredi, je l’amenais au stade, je l’aidais à s’asseoir en tribunes et je jouais devant lui parce qu’il aimait me regarder. Mais le samedi, on restait à la maison. On ne sortait que pour aller à l’église. »
Le joueur, qui a perdu son grand-père en 2020, a pris du retard et manqué des occasions d’être repéré. L’offre du Stade Français a tout bouleversé.
« Être ici, c’est ce que je veux, c’est mon rêve, affirme-t-il. Je n’ai pas le choix, je dois y arriver. Peu importe les difficultés. » Elles furent nombreuses à son arrivée en France. La vie en appartement à Boulogne-Billancourt – « du bruit tout le temps, pas de jardin » -, le froid – « on est arrivé avec nos vêtements d’été. Le premier matin, je suis sorti en shorts. Tout le monde me regardait comme si j’étais fou » -, la barrière de la langue et la découverte des chaudes ambiances du top 14, à l’instar d’un déplacement tendu à Bayonne – « un mec a renversé sa bière sur Gonzalo (Quesada, l’ancien entraîneur du Stade Français). Il nous insultait. »
Les pièges à éviter, aussi, comme ce premier Noël passé avec d’autres joueurs fidjiens en région parisienne.
« Ils l’ont fait boire parce que c’était le petit nouveau, soupire son épouse. Quand il est rentré, j’ai failli le foutre à la porte. Je ne l’avais jamais vu comme ça. J’étais tellement en colère… Les Fidjiens peuvent avoir tendance à faire des choses stupides. Mais, nous, on est différents, ce n’est pas notre truc. » « C’est la première et dernière fois que j’y allais, promet son mari. Je ne suis pas venu ici pour ça. »
Dakuwaqa est venu pour jouer au rugby, mais il lui a fallu ronger son frein. Embrasser un rôle – ailier à XV – qu’il connaissait à peine et apprivoiser le jeu européen, « plus structuré et tactique » que ce qu’il connaissait. Aidé au quotidien par Paul Gustard, l’entraîneur de la défense, il a passé ses premiers mois sur le banc ou en tribunes. Peu de minutes de jeu et encore moins de ballons à exploiter.
« Parfois, je rentrais quinze minutes, je touchais un seul ballon. Et parfois, aucun… J’étais tellement frustré, souffle-t-il. J’avais juste besoin d’une opportunité. »
Elle s’est présentée en février 2023 lors de la réception de Montpellier (27-17).
« Dix minutes avant la mi-temps, Sione Tui s’est blessé et je l’ai remplacé, se remémore-t-il. C’était ma chance, le moment que j’attendais depuis mon arrivée. » « Ça passait ou ça cassait, glisse Cheryl. Il a fait son meilleur match et on a signé son contrat pro le lendemain. »
Prolongé jusqu’en 2026, Dakuwaqa a depuis enchaîné les prestations intéressantes avec, en point d’orgue, cet essai du bout du monde sur la pelouse du Racing 92 en février dernier, 127 mètres d’une folle course conclue dans l’en-but.
Laissé hors groupe lors des trois premières journées de Championnat en septembre et peu considéré par l’entraîneur stadiste Karim Ghezal, remercié depuis, l’ailier a craint un déclassement. Ses deux essais, à Pau puis contre Montpellier lors de la dernière journée, ont mis tout le monde d’accord : le facteur X du Stade Français, c’est bien lui.
Même le samedi.